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«C’est le moment d’avoir une vision et des convictions ! »

Bob Ratcliffe, Président et CEO du FC Lausanne-Sport a donné deux interviews en fin de semaine au Matin et à la NZZ. Le club en profite pour publier ses propos de manière presque intégrale afin de clarifier au mieux la position du FC Lausanne-Sport auprès de ses supporters et du public. D’autres publications sont à venir sur les enjeux du LS et de tout club de football en Suisse face à la crise. Bonne lecture !

Bob Ratcliffe, quelle est la position du FC Lausanne-Sport aujourd’hui ?

Nous voulons que la saison reprenne, c’est notre objectif. Bien évidemment dans les conditions sanitaires nécessaires pour garantir une bonne exécution du travail de chacun. Pour être honnête, nous n’avons aucun problème avec les matches à huis clos.

Pourquoi ?

Parce qu’il y a de très fortes chances pour que cela devienne la norme cette année. Nous avons consulté des spécialistes, des médecins, des virologues en Suisse et en Europe. Nous devrons vivre avec le spectre du virus encore longtemps. Personne ne peut être certain que nous pourrons prochainement rejouer devant un public.

Nous devons nous adapter à cette nouvelle norme. Parce que malheureusement, ça pourrait bien devenir une norme. Je sais que ce n’est pas un plaisir pour les supporters. Mais dans le même temps, je sens un grand appétit de tous les fans et suiveurs de football de revoir des matches à la télévision. Nous devons donc nous engager dans cette voie, nous n’avons pas le choix.

Des clubs pourtant émettent des doutes quant à la faisabilité de matches à huis clos. Qu’en pensez-vous ?

Chacun peut défendre sa vision et ses intérêts, je comprends. Mais de manière pragmatique, nous vivons un moment exceptionnel dans le monde. Et face à cela, les défis auxquels est confronté le football suisse aujourd’hui sont immenses. Nous ne pouvons, nous ne devons pas rester sur le côté et attendre paisiblement. Alors que l’on demande aux gens de recommencer à travailler, de retourner dans les transports publics, le football ne peut pas rester en marge du déconfinement. Ce n’est tout simplement pas acceptable et extrêmement risqué.

Nous devons nous organiser pour limiter les risques. La ligue, les institutions sportives et la Confédération ont défini le plan de marche et les protocoles. Nous avons tout dans les mains, à nous de jouer.

« Le football ne peut pas rester en marge du déconfinement. Ce n’est tout simplement pas acceptable et extrêmement risqué. »

Dans la population, certains ne comprennent l’obsession de certains clubs, dont le LS à vouloir jouer. Quel leur répondez-vous ?

Ce n’est pas une obsession. Au plus fort de la crise, de nombreuses activités ne se sont pas arrêtées. En plus du travail extraordinaire mené par le personnel soignant, les pharmacies, les magasins de denrées essentielles, les chantiers pour ne citer qu’eux étaient eux aussi au travail. Avec des protocoles et des règles strictes.

A partir du 11 mai, la Confédération autorise des milliers d’activités à reprendre dans un processus de déconfinement. Le sport professionnel est désormais autorisé sous conditions (ndlr: dans l’attente d’un aval formel des compétitions le 27 mai). Nous respecterons ces conditions et nous renforcerons l’encadrement et le suivi des joueurs. Rien ne sera plus comme avant. Les vestiaires, les douches, le matériel, les séances vidéos, les collations, les déplacements tout va changer. Mais c’est comme ça pour tout le monde.

Les restaurants vont devoir ouvrir avec des règles et des conditions. Pas plus de 2 personnes par table, 2 mètres de distance entre chaque table, etc. etc. etc. Mais est-ce qu’un restaurant ne va pas ouvrir parce que les conditions sont trop compliquées ? Est-ce qu’un restaurant ne va pas ouvrir parce qu’il sait qu’il ne va pas réaliser les mêmes revenus qu’avant ? Alors pourquoi le football devrait-il le faire ?

« Nous devons avoir de la cohésion et du leadership au niveau de la Swiss Football League. C’est le moment ou jamais. »

Des joueurs s’inquiètent également d’une reprise du championnat qu’en pensez-vous ?

Je peux les comprendre. Les risques sont là, ils existent, il ne faut pas se voiler la face. Mais j’en connais aussi beaucoup qui n’attendent plus qu’une chose, retrouver le terrain. Parce que cela fait plus de 40 jours qu’ils s’entrainent et se maintiennent en forme seuls, à la maison. Même si tout a été mis en place pour garantir un suivi et des contacts virtuels, c’est un autre monde et ils ont faim de retrouver le terrain, de reprendre leur travail.

Au final, sera-t-il plus risqué pour un footballeur de s’entrainer et jouer avec un encadrement maximal, des conditions sanitaires pointues appliquées à l’ensemble des équipes, que de prendre le train ou faire ses courses comme va le faire l’entier de la population ? Parallèlement, comment expliquer à un chauffeur de taxi ou de bus, une caissière dans un supermarché, un coiffeur, une esthéticienne ou un banquier dans un open space de 30 personnes qu’ils courent moins de risques qu’un footballeur ?

Avec les contacts et les efforts physiques, c’est en soi plus risqué. Mais il faut savoir qu’une équipe de football professionnel, c’est un encadrement extrêmement professionnel. C’est un groupe de 40 personnes, les joueurs, le staff, les intendants, les physios, les médecins. Nous avons la capacité d’encadrer, de suivre tout le monde.

C’est d’ailleurs sur ces garanties d’encadrement que le Conseil fédéral a donné son feu vert à une reprises des activités sportives professionnelles.

« Ne pas jouer maintenant, c’est peut-être ne pas jouer en juillet, en août, en septembre et même en décembre. »

Outre les aspects sanitaires, il existe également de nombreux obstacles juridiques et contractuels notamment. Tout est assez compliqué de ce côté-là non ?

Oui, clairement. Mais nous avons une expression en anglais qui dit « if there is a will, there is a way » (s’il y a une volonté, il y a un chemin).  Nous devrons faire face à de nombreux défis. Mais c’est à nous de les régler. La Suisse est un pays méticuleux, responsable, nous pouvons donc le faire. Mais pour cela nous devons avoir de la cohésion et du leadership au niveau de la Swiss Football League. C’est le moment ou jamais.

Ne pas jouer maintenant, c’est peut-être ne pas jouer en juillet, en août, en septembre et même en décembre. Ne pas jouer c’est priver les clubs de l’intégralité de leurs revenus. Et l’impossibilité ensuite de faire face aux charges. La première équipe, l’encadrement, l’académie, l’administratif, au LS ce n’est pas moins de 80 personnes qui travaillent et dont les emplois sont aussi en jeu.

Au cœur de la crise, la ligue a fait passer un vote sur une ligue à 12 pour les saisons 2021-2022 et suivantes. Le LS s’est montré extrêmement déçu, pour ne pas dire fâché face à la décision de la ligue et des clubs de refuser une Super League à 12 clubs.

Nous avons été extrêmement agacés pour ne pas dire plus. C’est une opportunité manquée, une très grande opportunité manquée. C’est un non-sens total. Vous pouvez prendre tous les pays en Europe d’une taille similaire à la Suisse, ils ont 12, 14, 16 équipes en première division. La Suisse en a 10. Mais la Suisse a 20 clubs professionnels au total avec la Challenge League. C’est impossible. La Suisse peut avoir 12 ou 14 clubs professionnels, mais pas 20.

Ce que je constate, c’est que ni la ligue professionnelle, ni les ligues amateures ne se sont concertées pour créer un modèle pour rendre le football suisse encore plus attractif. Ils ne se sont d’ailleurs pas même alignés sur une décision lorsqu’il a s’agit d’annuler la saison comme on a pu le voir en France. La SFL a gravement manqué de leadership pour faire avancer ce projet. Une ligue à 12 représentait la seule opportunité de pouvoir relâcher la pression sportive et financière sur le football suisse dans les années à venir et face à la crise du coronavirus. Pas de relégation, deux promotions et la possibilité de ne pas avoir 8 équipes sur 10 concernées par la relégation l’an prochain.

Sans compter la formation. Elle est excellente en Suisse. La Suisse a toujours formé de très bons joueurs et Lausanne en est un exemple. Une Super League à 12 avec une Challenge League semi-pro, c’est un tremplin exceptionnel pour la formation et la possibilité de voir l’ensemble des régions représentées.

« Un modus s’il n’est pas parfait, ça se change. »

Mais les clubs n’ont pas forcément voté contre une ligue à 12, mais contre la formule…

Effectivement, au lieu de soutenir une vision, la ligue et les clubs se sont contentés de discuter d’un modus de championnat. On vous montre la lune et vous regardez le doigt. Un modus s’il n’est pas parfait, ça se change. Et sincèrement, jouer 4 fois contre la même équipe dans un championnat où un match en mai a autant d’enjeu qu’en novembre est-ce vraiment intéressant ? 6 clubs au moins sur 10 ne se battent pas pour le titre, mais contre la relégation. Est-ce que ce module-là est si parfait qu’on ne peut pas le changer et prendre quelques risques ? Je ne le crois pas. J’en suis même intimement convaincu.

« Rejouer et une ligue à 12 dès l’an prochain résout une très grande partie des problèmes. »

Le football suisse plane dans une grande incertitude et le LS notamment. Personne ne sait de quoi demain sera fait et le LS vit avec le spectre d’une saison annulée purement et simplement. Qu’en pensez-vous ?

Nous n’accepterons jamais l’annulation de la saison. Nous sommes à un point précis de notre développement. Sportivement, notre équipe est prête pour la Super League. Le nouveau stade arrive. Le club s’est beaucoup structuré. Bref, nous sommes un club de Super League en Challenge League. Pour arriver à cela, nous avons fait des investissements conséquents. Nos partenaires nous soutiennent et les milieux économiques nous ont donné des signes très positifs sur notre projet. Nos supporters se sont mobilisés et n’attendaient qu’une chose : rejoindre le nouveau stade en Super League. La Ville de Lausanne avec qui nous entretenons de très bons rapports a fait des investissements très importants dans ce stade magnifique. A toutes et tous, nous leur devons la Super League, c’est notre engagement et ce pourquoi nous travaillons tous les jours. C’est bien évidemment pour eux que nous nous devons également de défendre le club.

Les signes que nous recevons aujourd’hui de la part du football suisse avec une votation baclée et les incertitudes liées à une absence de leadership ne sont sincèrement pas positifs.

Si je sors du cadre stricte du FC Lausanne-Sport et que je regarde ce qu’il se passe dans les autres ligues européennes, c’est rassurant: il n’y a pas aujourd’hui plus désastreux en terme d’image et de communication qu’une annulation pure et simple de la saison. Regardez ce qu’il s’est passé aux Pays-Bas. Regardez ce qu’il s’est passé dans les différents pays quand des présidents ont émis l’idée d’une annulation pure et simple du championnat. Des vents de contestations de la part du public, des joueurs et des dirigeants. De nombreuses poursuites judiciaires à venir. Il n’y a pas plus injuste dans l’opinion qu’une annulation pure et simple du championnat.

La France a montré la voie en trouvant le chemin d’un certain consensus en valorisant le championnat actuel. Ce qui est d’ailleurs préconisé par l’UEFA dans l’attribution des places européennes. Donc au pays du consensus, même s’il faut s’attendre à tout, on peut espérer un certain pragmatisme.

Au risque de me répéter, rejouer et une ligue à 12 dès l’an prochain résout une très grande partie des problèmes pour ne pas dire tous.