fbpx

« NOUS SOMMES DANS LES TEMPS! »

© Jean-Christophe Bott/KEYSTONE

Entré en fonction en juin, Souleymane Cissé se livre sur son nouveau rôle de directeur sportif du FC Lausanne-Sport, tout en revenant sur la saison passée et en abordant celle en cours. Quelques jours après avoir quitté la Pontaise et à quelques jours de débuter à la Tuilière, interview!

Souleymane, où en est le projet «Lausanne-Sport»?

Pa rapport à nos objectifs, nous sommes dans les temps de passage. Tout se passe comme prévu en sachant que le projet est pensé sur le moyen voire le long terme. Les parties prenantes du projet, c’est-à-dire le FC Lausanne-Sport, l’OGC Nice et le RC Abidjan sont indépendants les uns des autres, avec leurs spécificités et leur environnement propre, mais travaillent en synergie avec un but commun, celui de s’élever et de s’affirmer ensemble. Nous n’en sommes qu’à nos débuts, cela avance petit à petit. De notre côté, les résultats actuels le montrent, le LS est sur le bon chemin. Mais attention, pas d’euphorie! Il faut rester calme et anticiper des périodes plus compliquées, durant lesquelles les résultats ne seront pas forcément ceux escomptés. On le sait, elles vont arriver et il faudra les gérer au mieux.

Vous avez pris votre poste de directeur sportif en juin, peu avant le terme du championnat 2019/20. Qu’avez-vous pensé de la fin de saison du LS?

La promotion était l’objectif avoué. Le staff, l’équipe et l’ensemble du club ont donc parfaitement réussi leur mission. Terminer avec neuf points d’avance sur le FC Vaduz est une réelle performance au vu de la période difficile que nous avons traversé. Les gars ont manqué de fraicheur lors de la reprise «post-Covid», c’est vrai. Nous sommes cependant fiers de la façon dont ils ont réagi en imposant leur autorité. Nous retenons le sang-froid du staff et des joueurs ainsi leur faculté à ne pas céder à la panique alors que les choses ne tournaient pas forcément comme elles le devaient. Il faut également féliciter GC et Vaduz, qui nous ont mis la pression jusqu’au bout et qui ont réalisé une superbe fin de saison.

Pensez-vous que la fin de saison compliquée est pour quelque chose dans les débuts réussis du LS en Super League?

Se sortir de ce genre de difficultés forge le caractère et solidifie un groupe. Ce vestiaire transpire la joie de vivre et la bonne humeur. Chacun a envie de bosser pour l’autre en pensant au bien-être collectif avant le sien. On entend souvent : « Ah si ce joueur avait le bon état d’esprit, il pourrait aller loin. » Non! Avoir un bon état d’esprit est la base, l’incontournable. On ne devrait pas avoir à brandir cela comme une qualité exceptionnelle. Ce n’est pas seulement être positif, c’est tout ce qui en découle: se comporter correctement, être respectueux des personnes qui nous entourent, être à l’heure, respecter l’institution. Vient ensuite la qualité intrinsèque de footballeur. De ces points de vue, le LS dispose d’éléments de qualité et nous allons continuer d’en développer davantage.

« Se sortir de ce genre de difficultés forge le caractère et solidifie un groupe. Ce vestiaire transpire la joie de vivre et la bonne humeur! »

Cinq matches, huit points, êtes-vous surpris par le début de saison en Super League ?

Non. Personne ne nous attendait à ce niveau, sauf nos dirigeants et nous-mêmes. Je l’ai dit et je le répète, nous avons un groupe de qualité qui va se bonifier au fil des saisons. D’accord, nous n’avons pas encore joué tous les cadors de ce championnat comme YB ou encore Bâle. Toutefois, nous restons sur des prestations solides face à des habitués de la Super League tel que Zürich ou encore Saint-Gall ce week-end. J’ai vu de l’allant offensif, de l’intensité dans les transitions.

L’été a été mouvementé avec l’arrivée de plusieurs jeunes joueurs. Comment se passe leur intégration ?

Très bien. L’esprit de camaraderie qui règne dans le vestiaire fait qu’il est facile de s’y intégrer. Des garçons expérimentés comme Mory Diaw, Elton Monteiro ou Stjepan Kukuruzovic, pour ne citer qu’eux, les ont directement pris sous leurs ailes. Il n’y avait qu’à voir les premiers jours de Trazié Thomas et d’Armel Zohouri ici à Lausanne. Ils ont de suite été invités à aller manger chez l’un ou l’autre joueur. Et croyez-moi, cela n’est pas monnaie courante. C’est le genre de détail qui nous laisse croire que ce groupe sera capable de traverser les périodes moins souriantes.

On le sait, l’objectif de la saison est le maintien. Mais encore ?

Nous avons plusieurs axes de travail qui guident notre saison. Vous l’avez dit, le maintien est l’objectif numéro un. Il représente le premier axe de travail. Le deuxième est de renforcer certains cadres de l’équipe, afin qu’ils continuent de performer et participer au développement des plus jeunes. Enfin, le troisième axe est justement de développer un maximum de jeunes joueurs. Le Team Vaud fait partie des meilleures académies du pays et nous comptons nous appuyer sur nos meilleurs jeunes. Avoir des jeunes joueurs à fort potentiel ne suffit pas. Il faut créer une passerelle pérenne, les intégrer et leur permettre de se développer. L’éclosion des Andi Zeqiri ou Dan Ndoye ne restera pas des cas isolés, puisque des jeunes lausannois comme Cameron Puertas, Gabriel Barès ou Isaac Schmidt, pour ne citer qu’eux, sont en train de «s’épaissir». Ils sont suivis par d’autres jeunes qui frappent avec insistance à la porte. Un garçon comme Alvyn Sanches, qui vient d’intégrer le groupe professionnel à 17 ans, emboite ainsi le pas à Pedro Brazão, 17 ans également. Ces exemples illustrent parfaitement notre politique de développement de jeunes talents. Des jeunes joueurs qui incarnent l’avenir du FC Lausanne-Sport.

En parlant de son avenir, ce dimanche se tiendra le premier match du LS au stade de la Tuilière, malheureusement à huis-clos. Cela doit constituer une grande déception ?

C’est effectivement frustrant pour nos supporters et l’ensemble de notre club. Mais la situation sanitaire actuelle ne nous laisse pas d’autre choix, la santé prime sur tout le reste. Pour y avoir pris nos quartiers depuis plusieurs semaines, le stade de la Tuilière est un bel outil de travail. Nous ne pouvons que remercier la Ville de Lausanne et le groupe INEOS. Sans le crier sur tous les toits, INEOS groupe fait aujourd’hui énormément pour le LS, pour les jeunes ici, ceux de l’OGC Nice et du RC Abidjan. Notre monde étant particulièrement secoué par cette pandémie, il est important de savoir dire «merci» à ceux qui nous soutiennent. J’aimerais glisser un petit mot concernant le stade de la Pontaise, que nous avons définitivement quitté il y a deux semaines maintenant. Même si je n’y ai personnellement passé que quelques mois, la Pontaise est et restera pour moi un stade mythique, qui aura permis à notre club d’écrire des belles pages de son histoire.

« …la Pontaise est et restera pour moi un stade mythique, qui aura permis à notre club d’écrire des belles pages de son histoire. »

Souleymane Cissé lors de sa présentation à la Presse au stade Olympique de la Pontaise.

En quoi votre passé de footballeur vous est-elle bénéfique aujourd’hui en tant que directeur sportif ?

Au-delà de ma carrière de footballeur professionnel, je dirai que mon parcours dans le monde du ballon rond a fait de moi le directeur sportif que je suis aujourd’hui. Je me définit comme un directeur sportif d’un autre genre. Généralement, on le devient après être passé joueur. Ce n’est pas mon cas. Je suis passé par toutes les cases: joueur professionnel, éducateur de très jeunes joueurs à Évian, entraineur-formateur à Monaco, recruteur à Nice, et directeur technique général a Bordeaux. Né en Côte d’Ivoire, je suis arrivé très jeune en France. Par la suite, j’ai connu plusieurs pays en tant que footballeur, à savoir l’Allemagne, la Suisse et le Portugal. J’ai donc eu la chance de me nourrir de cultures de vies et sportives différentes. Tout quitter pour vivre son rêve de footballeur, je sais ce que cela implique. Aujourd’hui à Lausanne, je m’appuie sur mon passé et mes expériences vécues pour comprendre et aider les joueurs. Cela est notamment utile pour les plus jeunes qui ont parfois besoin d’un accompagnement individualisé au sein et en marge du collectif.

Vous avez créé une académie à Abidjan, qui est devenue aujourd’hui un club phare du pays. D’où vous est venu l’idée de ce projet ?

L’académie d’Abidjan, c’est le projet d’une vie. Alors que j’avais 16 ans, je suis retourné pour la première fois en Côte d’Ivoire. Choqué par les conditions de vie des jeunes ivoiriens, je me suis promis de reverser à vie la moitié de mon salaire dans le but d’aider le développement de la jeunesse en Côte d’Ivoire. Cela a d’abord consisté à aider des orphelins, à scolariser des enfants de quartiers défavorisés et soutenir des femmes battues. Puis, nous avons créé un centre de regroupement pour enfants démunis, dans le but de leur donner un toit et une éducation, tout en leur permettant de jouer au football. Au fil du temps, nous nous sommes rendu compte que nombre de ces jeunes avaient un vrai talent. Nous avons donc structuré l’ensemble et créé ce centre de formation dédié au football. En 2018, Julien Fournier est venu sur place. Il a été touché par notre histoire et a été séduit par le potentiel de nos jeunes joueurs et nos idées de jeu. Cela a abouti à un partenariat entre le RCA et l’OGC Nice. Depuis l’arrivée du groupe INEOS, le projet de partenariat est porté par Bob et Jim Ratcliffe, qui ont une réelle sensibilité à l’égard du développement des jeunes. Ainsi, le RC Abidjan a été intégré depuis au programme INEOS FOOTBALL. Cette académie, qui regorge de jeunes talents, est aujourd’hui championne de Ligue 1 ivoirienne et participe à la Ligue des Champions d’Afrique. Grâce à son partenariat avec INEOS FOOTBALL, le club est en train de passer une étape dans son développement, ce qui profitera à tout le monde. J’en suis évidemment ravi.

On sent qu’un lien spécial vous lie avec les plus jeunes…

Oui, absolument! Vous savez, lorsque j’étais joueur, je passais mes mercredis après-midi à assister les entraîneurs des jeunes du club, quand je n’avais pas moi-même un entraînement. Partout où je suis passé, cela me tenait à cœur de passer du temps à observer et à accompagner les plus jeunes. J’ai toujours eu ce rôle de grand frère, auprès du jeune footballeur mais surtout auprès de l’homme qui le définit. Cela m’aide aujourd’hui à comprendre et aider des jeunes joueurs qualifiés de compliqués, mais qui en réalité n’ont besoin que de cadre et d’affection pour s’épanouir. Le football comme nous le connaissons va vite et est en mutation permanente. Pour nous adultes, il y a donc une véritable opportunité de les guider au mieux tout au long de leur parcours. Cela nous renvoie souvent à nos limites mais nous donne l’opportunité de remettre en question nos pratiques et nos acquis. C’est déroutant mais en même temps fascinants. La voie vers leur épanouissement est longue mais elle en vaut la chandelle. Elle passe par l’éducation, l’ouverture d’esprit et la patience.